Tout d'abord, à quoi bon ce texte ?
Le « milieu » libertaire
frétille déjà de sites en sites, de blogs en blogs, à propos de
ce 1er mai 2014. Et étant données les habitudes du milieu
libertaire parisien, on se demande bien ce que ce texte, comme
d'autres, pourra apporter. Mais disons que devant ce qu'est devenu le
mouvement libertaire à Paris, s'il est devenu de plus en plus risqué
de parler et de prendre position, il y est surtout devenu
insupportable de se taire. Commentaires censurés par des sites
sensés permettre le débat (comme Indymedia), intimidations,
insultes, menaces de la part de certains autonomes et/ou
antifascistes … Pour beaucoup d'entre nous, nous avons de la peine
en voyant la tournure que prennent les choses. Dans un contexte où
on a vu récemment le milieu autonome couvrir et défendre un violeur
pédophile (il aura fallu que la justice bourgeoise, à l'occasion
d'une autre procès de ce sinistre personnage, déballe le casier
judiciaire pour que les victimes soient enfin prises au sérieux), on
ne s'étonne plus de rien.
Avant toute chose, c'est quoi, le
premier anarchiste à Paris ?
L'après-midi a lieu la manifestation
syndicale. S'y trouvent les syndicats que nous qualifieront sans
abuser de « réformistes », voire pire, même si
certaines sections, dans certains secteurs, sont moins endormis que
d'autres, surtout quand dans telle ou telle branche existent des
luttes assez actives. Certains de ces syndicats, ou du moins
certaines sections, ont parmi eux des anarchistes syndiqués qui, ce
jour-là, peuvent décider de participer à cette manifestation avec
leur section, leurs collègues de travail, etc. S'y trouvent aussi
des syndicats un peu plus radicaux, comme Sud ou la CNT.
Depuis plusieurs années, les
anarchistes organisés ont décider, avant cette manifestation
syndicale, de faire une manifestation spécifiquement anarchiste.
Celle ci est généralement « portée », du moins
organisée, par les deux plus grosses organisations anarchistes
présentes à paris, à savoir la CNT et la FA. Cette année, le
choix avait été fait par un ensemble plus large d'organisation
libertaires de co-organiser les choses, ce qui me semble une bonne
initiative : d'une part, cela donne une légitimité unitaire
libertaire, et cela permet, malgré le déséquilibre des forces
d'une organisation à l'autre, que chacune de ces organisation puisse
apporter son aide.
Pour ma part, ne faisant partie
d'aucune de ces organisations, cela ne change pas grand chose, mais
cela avait le mérite de renforcer une dynamique unitaire présente
dans d'autres initiatives tout au long de l'année, ou ponctuellement
(comme la Foire à l'autogestion, par exemple). Cela avait entre
autre permis de réaliser une affiche commune, qui assurait une
visibilité vos-à-vis de la population plus grande que d'habitude.
Cette manifestation, d'année en année,
a développé une spécificité. Géographique tout d'abord,
puisqu'elle part de la Place des fêtes pour se rendre à République
ou à Bastille, selon le lieu de départ de la manif unitaire. Cela a
le mérite de rendre présents les anarchistes en nombre dans des
quartiers non bourgeois, dans des rues et non pas sur des boulevards
immenses, et la population reçoit bien cette manifestation, en se
tenant généralement sur les trottoirs, discutant, prenant des
tracts, achetant des journaux anars, etc. On y retrouve l'ensemble
des anarchistes organisés, et, comme moi, beaucoup d'anarchistes de
coeur, mais pas forcément militants dans une organisation
anarchiste. On y retrouve toutes générations, de la poussette au
retraités. On y retrouve des connaissances, des amis, et c'est un
peu le « grand rendez-vous » où l'on se compte, où l'on
y voit de nouveaux venus, et où on prend conscience que les
anarchistes sont multiples, différents, … mais ensemble.
Que s'est-il passé cette année ?
Après environ 20 minutes de
manifestation, est arrivé un groupe de personnes bien connues non
seulement de la police (et oui, l'anonymat, de nos jours, n'est plus
ce qu'il était) mais aussi de pas mal de manifestantEs, malgré les
masques et cagoules : des « autonomes » parisiens.
Rapidement, la technique habituelle se
met en place : bris de vitrines, puis retrait pour trouver
refuge au sein du cortège, au milieu des manifestantEs, parmi
lesquels, nous le savons, des enfants, des personnes âgées, des
sans-papiers qui se passeraient bien d'une arrestation, des
handicapéEs, bref, des gens absolument pas venus dans l'optique
d'une émeute.
Mais bon, peu leur importe :
imposer à une poignée de personne un affrontement inéluctable avec
la police à des gens pas préparés à cela, ceci n'est en rien un
problème pour cette avant-garde autoproclamée.
Nous assistons alors à un délire
total, qui, s'il ne mettait pas en danger l'ensemble de la
manifestation, serait, en soit, assez comique : un Monoprix a la
vitrine éclatée, et les autonomes parleront alors « d'opération
d'autoréduction ». Au-delà de cette amusante novlangue, cela
a, concrètement, consisté piquer des bouteilles d'alcool. Mais
bon, il faut bien avouer que parler « d'autoréduction »,
ça fait mieux.
Un peu plus loin, un membre de
l'avant-garde éclairée attaque un écran de distributeur
automatique de billet … avec un bout de bois (sans doute un manche
de marteau). Malgré tous ses efforts : autonome : zéro,
écran : un. Et oui, mal équipés, en plus. Ou alors pas si
fort que ça malgré l'attitude ultra-viriliste.
Toujours dans la même veine, l'un
d'eux s'acharne sur un autre écran, quand un de ses potes,
complètement paniqué, vient lui hurler dans les oreilles qu'un
escadron de gardes mobiles se situe à … 3 mètres de lui. Comme
quoi, même l'avant-garde éclairée peut souffrir de problèmes de
vue.
Et ensuite ?
Et ensuite, bien entendu, le pouvoir
vacille, les masses prolétaires se mettent à suivre l'avant-garde,
prennent les armes et … Euh non, en fait.
Les habitants rentrent chez eux. Les
commerces baissent leurs rideaux de fer.
Une membre de la CNT, au micro, et
aussitôt huée, déclare que la CNT ne « continuera pas dans
ces conditions ». Si pour ma part je n'apprécie pas qu'elle
parle au nom de toute une organisation (elle a dû se faire souffler
dans les bronches par ses camarades ensuite, je suppose), dans les
faits, sa déclaration est surtout inutile : la plupart des
manifestantEs sont déjà partis ou en train de partir d'eux-même.
Le cortège se vide. Au final, cette déclaration sera surtout un
élément de plus utilisé dans la prose autonome pour moquer la CNT.
La suite, elle, sera dans la continuité
logique : de moins en moins nombreux, les manifestants se
retrouvent être un « refuge » de moins en moins efficace
pour l'avant-garde éclairée (mais néanmoins mouillée aussi par la
pluie, malgré ses chouettes vêtements de marque). L'ensemble des
manifestantEs devient alors vulnérable, et là, la police va pouvoir
faire se qu'elle veut : un peu de gazage, un peu de poussage, et
quelques interpellations. Une sorte de minimum syndical quoi, étant
donné qu'un des pontes de la police s'est aussi fait savater en
début de manif.
Toujours aussi forts dans le registre
comique, on verra un des membres de l'avant-garde reprocher au SO de
la manif (qu'il vient d'insulter), de ne pas reprendre des mains de
la police les interpellés. En fait, il est amusant de voir à quel
point, pour des ennemis proclamés de toute organisation politique,
une réelle foi dans l'organisation existe : celle-ci est censée
empêcher toute arrestation, servir d'assurance-procès, etc.
Finalement, c'est à se demander si ces ennemis de l'organisation ne
croient pas davantage que les militantEs organiséEs aux bienfaits de
celle-ci ! C'en est presque touchant. Perso, si j'était dans
une orga, je prendrais ça pour une reconnaissance. Enfin bon.
Aussi touchant que ce militant
d'avant-garde qui s'est fait arrêté et qui pleure dans son coin,
entre deux gardes mobiles. Vu que c'était avant l'utilisation des
gaz, je compatis alors, oubliant nos divergences, et voyant enfin,
derrière le valeureux combattant-couilles-en-avant, un être doué
de sensibilité, avec un petit cœur qui bat, et tout et tout. Parce
que c'est quand même injuste : à cause de ça, il sera
peut-être privé d'argent de poche, ou, pire, papa-maman arrêteront
de lui payer son appart. Et là, ça rigole plus. La révolution
n'est décidément plus un dîner de gala.
Quel était le but de tout ceci ?
A vrai dire, plusieurs options
existent.
Option 1 : transformer une
manifestation tranquille en émeute contre le capitalisme et l'Etat.
Franchement, vu le contexte habituel de
cette manif … Qui peut croire à ça ? Même l'avant-garde,
pourtant pas toujours fute-fute (désolé, mais on en a la preuve
chaque jour), ne peut pas être assez bête (ou bourrée avec de la
mauvaise bière piquée … euh, pardon « autoréduite »)
pour croire à ça.
Option 2 : radicaliser une part
des manifestants, quitte à perdre une autre part des manifestantEs.
Là encore, ça ne tient pas. Parmi les
organisés, de nombreuses personnes participent volontiers à des
actions plus radicales, et n'ont pas attendu une quelconque
avant-garde pour s'y mettre. A la seule différence que ces
personnes, pour des raisons de sécurité, évitent de le crier sur
tous les toits, et ont le mérite de s'organiser suffisamment pour ne
pas se faire chopper comme des débutantEs. Et là, comme on l'a vu,
le but n'était de toute façon pas là chez eux, et il y avait donc
peut de chance de les convaincre, surtout en leur imposant par la
force un mode d'action qu'ils n'avaient pas choisis pour cette
manifestation.
Option 3 : déstabiliser les
organisations anarchistes.
C'est là l'explication qui me semble
la plus logique, car c'est celle qui avait le plus de chance
d'aboutir. Et surtout, on voit depuis plusieurs mois des attaques
répétées contre les organisations, sous différents prétextes,
avec son lot de publications de textes, de communiqués, de réponses
censurées, etc. La police et les fachos, eux, doivent jubiler, de
trouver de tels alliés.
Cette manifestation « grand
public », qui prenait d'ampleur d'année en année, avait sans
doute de quoi agacer les membres d'une avant-garde qui se sentent,
eux, sans doute bien seuls dans leurs initiatives. De quoi aiguiser
la jalousie quoi. Surtout dans un contexte où, de façon répétée,
des organisations anarchistes arrivent, sur tel ou tel événement, à
mobiliser au-delà de leurs rangs militants.
Pour des autonomes qui ne parviennent
toujours pas à sortir de leur ghetto militant de plus en plus
sectaire, c'est dur à avaler.
Là, il est clair que les manifestantEs
non militantEs qui ont quitté le cortège ne sont pas près de
revenir l'an prochain, voire même de revenir du tout.
De plus, enclencher une riposte
répressive de la police entraine son lot habituel de critiques à
l'encontre d'un service d'ordre de manif qui, en n'ayant pas pu
empêcher les arrestations, se voit alors qualifié d'alliés de la
police, rien que ça.
Autre but possible : faire
interdire à l'avenir toute manifestation déposée par les
organisations anarchistes, et ainsi gêner les dynamiques des
organisations anarchistes qui seront contraintes de ne plus pouvoir
lancer des manifestations à leur propre initiative. Celles-ci seront
donc contraintes à manifester de façon « sauvage »,
donc avec arrestations à la clé, et de fait, avec uniquement des
militantEs prêts à l'affrontement avec la police. Ou bien les
anarchistes organisEés seront contraintEs de se rallier uniquement
aux grandes manifestations unitaires. Les autonomes pourront alors
leur reprocher de n'être qu'à la remorque des réformistes.
Quelles suites possibles ?
Concernant les interpellations, tout
cela suivra son cours habituel ; On demandera aux gens de filer
du pognon (ce qu'ils feront, puisque finalement, peu de distributeurs
de billets ont été cassés, donc retirer un peu d'argent pour aller
à un concert de soutien sera faisable) pour financer des frais
d'avocats, et d'éventuelles condamnations financières. Et
oui « l'autoréduction », ça pète grave, mais au
final, ça revient cher la bière. Du coup, l'avant-garde n'hésitera
pas à demander des sous auprès des organisations (ou plutôt de ses
membres) dont elle a pourri la manif et qu'elle a mis en danger dans
son ensemble.
Concernant la manif du 1er mai en
elle-même : il est clair que celle de l'an prochain sera un enjeu.
Soit les organisateurs seront assez forts et intelligents pour
dépasser ça et relancer une dynamique, du moins si la prochaine
fois une manifestation est autorisée. Soit ce ne sera pas le cas, et
tout le travail de construction de ce premier mai anarchiste sera à
reprendre de zéro. Dans ce contexte, soit le SO virera du cortège
les membres de l'avant-garde illuminée et passera pour de méchants
flics à grands renforts de communiqués pleurnichards, soit il les
tolèrera, et le même fiasco recommencera.
Autant dire que l'enjeu n'est pas
simple.
Si l'avant-garde a clairement déclaré
la guerre aux organisations, il y a peu de chances que ces dernières
acceptent de rentrer dans ce conflit. D'une part, elles sont occupées
par d'autres initiatives et luttes, et d'autre part, ce serait
accepter d'entrer dans un combat face à un ennemi multiforme. En
effet, un des principes de ces avant-gardes, c'est d'être éclatées
autour de petits chefs charismatiques (souvent en confits les uns
avec les autres, pour des histoires d'ego, ou de cul, ou les deux) :
ainsi, certains groupes n'hésitent jamais à pourrir le groupe de
l'autre chapelle, mais peut se rallier à lui la fois suivante contre
un autre, et ainsi de suite. Bref, c'est jamais la faute à personne
quand quelque chose se passe.
Une autre option est l'abandon de cette
manifestation anarchiste qui serait une belle victoire pour
l'avant-garde plus-radicale-que-moi-tu-meurs, gagnant ainsi une
partie contre son ennemi principal, à savoir non pas l'Etat ou
je-ne-sais-quoi, mais les organisations anarchistes qui, c'est bien
connu, sont sources de tous les maux.
Dans tous les cas, le « milieu »
libertaire réagira d'une façon ou d'une autre. Pour ma part,
j'espère que l'avant-garde autoritariste ne gagnera pas ce combat.
Pour cela, il faudra que les organisations
se montrent inventives, cohérentes,
déterminées, et que nous, anarchistes de cœurs mais non militanEs,
ne nous laissions pas berner par les verbiages alambiqués
d'avant-gardes autoritaires, machistes et manipulatrices.
Peter Love
Article très drôle. La petite bande de bouffons ont surement voulu donner une leçon aux vieux cons. Mais comme ils n'ont même pas lu Sun Tzu ils n'ont rien compris au B-A BA de la tactique. l'AFA va encore pleurer parce que personne ne les soutien, et qu'ils ont encore des GAV et tout et tout mais à force de se croire les plus forts et les plus intelligents, de menacer physiquement tous ceux qui ne sont pas d'accord avec eux, de faire des coups de pressions dans les réunions. Il ne leur restera que leurs yeux pour pleurer entre deux gardes mobiles. Peut être bientôt un concert de soutien organisé par Quartier Libre ? Promis je mettrais 10 centimes pour le soutien à prix libre.
RépondreSupprimerTu as raison sur de nombreux points mais il ne faut pas partir d’un exemple pour en tirer des généralités. Il existe un milieu libertaire en dehors du mouvement "organisé", et, parmi celui-ci, une minorité qui confond action direct et fétichisme du bris de vitrine. Apparemment, c’est à ceux-la que la manif à Paris a eu droit. La majorité dite, à tort, inorganisée, même si elle est critique face aux "organisés", respecte la diversité des tactiques. Mais par nature, rien n’empêchera jamais des zozos au QI de palourdes de s’y mêler. Il ne s’agit donc pas à mon avis d’une "déclaration de guerre" entre tendances de l’anarchisme mais d’une dérive propre au folklore "black bloc" que le milieu "inorganisé" anglo-saxon a connu aussi à ses débuts. Le mouvement anarchiste "organisé" (dont je ne fais pas partie) n’a pas à entrer dans un "conflit" qui n’existe pas mais faire la différence entre cette minorité et l’ensemble (complexe) du mouvement libertaire "inorganisé" aujourd’hui dont 99% des membres n’auraient certainement pas participé (à tort ou à raison) à un défilé du 1er mai.
RépondreSupprimerSauf que qui ne dis mot ...
SupprimerOui, mais JAMAIS les autres tendances autonomes ne prendront publiquement position sur ce point, au risque de tomber dans le propre piège qu'ils ont contribué à mettre en place, à savoir que toute critique contre des gens auto-proclamés comme "radicaux" les ferait passer pour un ignoble réformiste. Ils contribuent, par leurs déclarations habituelles et par leurs silences, à alimenter ce chantage intellectuel qui fait que l'on ne pense plus que par "réflexes" au lieu d'élaborer une réflexion digne de ce nom. Dommage pour eux. KM
Un point de vue très drôle et très vivant, en tout cas bien plus vivant que la triste prose théorique abstraite de l’avant-gardisme toto !
RépondreSupprimerTout a fait d'accord avec ce que dis ce texte mais je serais quand même un peu moins négatif sur certains points je pense que les gens qui on fais ça sont pour certain très jeune et convaincu que leur acte aurons une portée révolutionnaire alors que tout ce qu'il vont faire c'est couler le mouvement tout entier.
RépondreSupprimerJe pense qu'en discutant et analysant la réalité de ce qu'il se passe a chaque fois après des actions (répression, renfermement sur soi des milieu, etc ) comme ça on pourrai surement les convaincre de ce calmer et surtout de pas refaire la même chose pour l'année prochaine, pourquoi ne pas organiser une réunion avec les différentes tendance libertaire ?
J'ai été totalement dégouté par ce premier mai moi qui ne suis a paris même que depuis quelques mois, je n'ai pas encore beaucoup de contact si les gens de ce blog ou ceux qui le lisent pouvais me tenir (par mail) au courant d initiative du genre ou pourquoi pas en lancer une ça pourrai être cool et bénéfique pour tout le monde.
Raph (raph-fedanar95@outlook.fr)